Petits plaisirs patissiers

   

    Aujourd'hui Juliette s'est achetée un vélo et pour fêter ça je suis passé prendre deux gâteaux dans notre patisserie préférée "Au poussin bleu", quartier des Carmes. Ensuite j'ai testé le "Gitane Colorado" pour revenir à la maison pendant que ma douce allait chercher Raoul après sa dernière matinée de crêche. Le voici en grandes vacances lui aussi.

Les rues toulousaines sont vides en cette fin juillet, ciel bleu limpide, petit air frais en fond, je respirais l'allégresse tout confort sur la luxueuse monture (moi qui traîne depuis quelques mois une roue arrière carrément voilée sur mon vieux course période Anquetil). Sorti du Poussin Bleu quelques encablures auparavant (avec mon petit carton renfermant deux joyaux gastronomiques que j'avais déposé avec décontraction et excitation dans le panier flambant neuf prévu à cet effet) j'étais à mille lieues de m'imaginer qu'une sombre occurrence allait soudain ternir ce joli tableau. J'avais remarqué la souplesse irréprochable du vélo d'emprunt en comparaison de mes petits pneus fins à moi, et d'ailleurs je n'hésitais nullement à aborder frontalement toutes sortes d'irrégularités de la route, vivant cela comme une libération, la fin d'un carcan m'obligeant d'habitude à zigzaguer sans fin entre les bosses.

Oui, mais c'est ainsi que j'ai oublié un temps le petit trésor caché dans le petit carton simplement déposé quelques encablures auparavant dans le panier flambant neuf du "Gitane Colorado" non moins flambant neuf de ma douce. "Qu'est-ce que c'est pratique un panier comme ça", m'étais-je exclamé dans le magasin, emboîtant ainsi le pas de l'enthousiaste et agréable vendeur de cycles. "Tu vas trop adorer", avais-je ajouté peu après et en apparté complice avec ma douce.

Oui c'est bien pratique un panier comme ça. Mais on ne peut pas tout y mettre. Et surtout pas un petit carton renfermant deux des meilleures patisseries de Toulouse. Moi j'avais pris une tarte délicatement surmontée de mirabelles puis d'une mousse avec nappage caramélisé. Juliette m'avait ordonné de lui choisir un "croquant": délicate stratification de mousse chocolatée, génoise et chocolatine craquante.
A mi-chemin, après la deux ou troisième bosse abordée frontalement, un coup d'oeil égaré m'a fait entrevoir le pire: le petit carton renversé et ouvert dans le panier. Je n'étais pas au bout de ma stupeur. Les deux gâteaux qui n'avaient rien mais alors rien à voir entre eux, s'étaient retouvés contraint à une union totalement déplacée, à mélanger leur sêve. Ils n'avaient plus visage humain. La mousse de ma tarte ne moussait plus, mes mirabelles avaient roulé aux quatre coins du carton, le stratifié de Juliette était dans le plus grand désordre... Vite fait sur le bas côté j'ai tenté de remettre provisoirement les choses verticales, et j'ai fourré le carton refermé à la hâte dans mon sac (ce que j'aurais dû faire depuis le début). J'ai essuyé ma main pleine de chocolat avec un vieux sac de croissant du fond de ma poche, et je suis reparti en furie en essayant de ne pas maculer le guidon flambant neuf du "Gitane Colorado".

J'enragais, quand même. Le miroir était brisé, le petit plaisir gastronomique était gâché inexorablement. Je savais bien que même en essayant au mieux de reconstituer les oeuvres du maître patissier, la copie serait médiocre. Elle le fut.

Mais il était dit que rien ne pourrait gâcher notre bonne humeur du jour. Et nos papilles ont su dépasser un simple désagrément visuel. Et ce petit imprévu comique a su alimenter le débit d'une conversation qui, aux abords de l'heure de la sieste, tendait à s'affaiblir. Allez, désolé je vais faire un petit dodo maintenant.

Comments

[Don Pépé]

Elle est jolie cette nappe !
Bises à tous.