L'histoire du soir

    Les petits sont couchés. Je viens juste laborieusement d'essayer d'inventer l'histoire du soir. Difficile de se concentrer quand Raoul est en train de se manger les pieds et d'essayer toutes sortes de contorsions qui ne manqueront pas de le rendre en nage et encore d'avantage surexcité aux abords d'un sommeil que son organisme appelle pourtant de ses voeux. Depuis quelques fois, j'essaie une histoire filée, les aventures de Petit Bouillou et Grand Bouillou, duo comique classique, vecteur a priori prolifique de scènes binaires attractives. Mais que c'est difficile d'improviser ! Chaque fois que j'invente une histoire c'est un peu toujours le même canevas: un petit enfant perdu dans la forêt, un oiseau qui ne sait pas voler, ou encore une chaussure qui a perdu sa jumelle  et que personne ne veut porter conséquemment, etc. J'ai du mal à varier l'intrigue, le fil du récit, les tenants et aboutissants. Ah si une fois ça parlait d'une bande de fourmi qui chantaient trop fort de bon matin en allant au travail et dont tout le monde avait marre dans la forêt. Les animaux se sont donc ligués pour les faire taire, sont montés sur une branche pour leur renverser une marmite d'eau bouillante sur la tête, mais le temps qu'elles arrivent enfin sous la branche, l'eau avait eu le temps de tiédir et au lieu de se noyer les fourmis en profitèrent pour prendre le bain en chantant à tue-tête de plus belle.

Est-ce que je vais prendre le parti de préparer à l'avance l'épisode du soir de Petit Bouillou et Grand Bouillou ? Ce serait dommage et en même temps mon côté "perfectionnisme des instants de création" me titille à chaque hésitation ou à chaque pauvreté avérée des situations improvisées. Je me dis que Zadig va s'endormir en se disant: "mais c'est complétement foireux cette histoire...". Raoul, je l'espère, me sera gré de m'être mis un instant à son niveau (pour essayer d'interrompre sa séance effrénée de mordillage de pieds) en introduisant mal à propos le personnage du "chat qui fait miaou".