L'appel du large

Je rêvais depuis longtemps, depuis toujours je crois, de larguer les amarres, et tracer la route vers l'horizon, sur le bassin du jardin du Luxembourg. Aujourd'hui j'ai osé l'aventure. A l'orée de ses trois ans mon petit garçon s'est intéressé trois minutes à "Yeu", notre vieux gréement loué 2 euros la demi-heure. C'est moi qui ai posé solennellement ce dernier sur l'eau sombre, à peine ridée par une fraîche bise de novembre. Au loin, de nombreuses mouettes furetaient au hasard, épiant une main amie pleine de miettes de pain, et comme rassurées par cette ambiance maritime, les embruns salés en moins. En poussant la vieille coque en bois de "Yeu" d'un coup de perche savamment dosé, je suivais en pensée son équipage imaginaire, lui souhaitant belle traversée dominicale, et je croyais bien les voir saluer amicalement d'autres amateurs de voile comme eux, s'effaçant dignement pour les laisser passer à tribord. Nous regardions un peu ému et tendus "Yeu" s'éloigner, giter même sous les risées, en cette belle fin d'après-midi d'automne, et puis, quand Zadig ne sut plus trop ce qu'il fallait regarder finalement, il partit rejoindre sa maman qui lui faisait coucou depuis un quart d'heure de sa chaise en métal froid vert inclinée, et moi je me mis à chanter tout doucement "Scaborough Fair" de Simon & Garfunkel. Je fendais l'écume au cri des mouettes, poussé au hasard du vent parisien. Les voiles étaient belles, les reflets pâles sur l'eau appaisants. Et puis quand je suis redescendu sur terre, je me suis senti bêta avec mon bâton au milieu des gosses excités. "Yeu" n'en faisaient qu'à sa tête, traversant à vive allure le bassin puis retournant en arrière avant d'accoster. Je croyais le ramasser mais non trop tard, il était repartit! Penché en avant au dessus de l'eau je venais de le louper magistralement et je me sentais aussi ridicule que quand on manque de se casser la gueule sur le trottoir verglassé devant tout le monde. Et puis heureusement "Yeu" s'est emmêlé les mats avec le bateau d'une petite fille. On s'est assis tous les deux avec notre bâton sur le rebord du bassin. Quand les deux bateaux se sont rapprochées j'ai pu lui attraper le sien mais le mien est reparti vers le large. "Attention au monsieur" dit la maman de la petite fille, qui évita difficilement mon corps en équilibre instable. De la fumée commençait à s'échapper de mes nasaux. La belle journée de voile aurait pu tourner au fiasco. Finalement j'ai rendu "Yeu" au bout d'un quart d'heure, et j'ai rejoint le reste de la famille. "Bon allez on va au manège" j'ai dit sans autres commentaires. Je déteste la voile (c'est pas vrai j'aimerais bien en refaire).